UX, l’innovation invisible
En 2014, lors de mon Master en Architecture de l’Information à l’ENS, j’ai eu l’occasion de co-écrire avec Mathilde Buleté-Herbaut un article publié sur la plateforme hypothèses : ici.
La rencontre UX
Le 29 et le 30 octobre, le Centre des congrès de Lyon a accueilli la BlendWebMix, événement rassemblant les spécialistes du domaine pour “remixer” le Web. C’était la deuxième édition organisée par la Cuisine du web, l’Université de Lyon, le Cluster Edit, Lyon French Tech et CyberCité. Un événement réunissant 120 conférenciers de la WebSphere. Une de ces conférences a particulièrement retenu notre attention : “UX, l’innovation invisible ?”. Les UX designer de demain se posent tous la question de l’explication des retombées de leur travail et de leurs recherches quant au retour sur investissement. Cette conférence était donnée par Raphaël Yharrassarry [R.Y.], psychologue et ergonome, travaillant à ce jour comme UX designer en Freelance. Ce billet vise à rappeler ce qu’est une “User eXperience”, à témoigner de l’importance de sa prise en compte dans la conception des produits et des services aujourd’hui, de sa transparence et de son impact sur l’innovation.
Que désigne l’expérience utilisateur ?
L’expérience utilisateur
L’expérience utilisateur désigne l’interaction entre l’utilisateur et le produit ou le service. Cette interaction peut laisser une note positive ou négative : “j’ai adoré cette fonctionnalité”, “cette application m’a été très pratique”, “je n’ai pas compris le fonctionnement de cette télécommande”, “je ne trouve pas logique l’emplacement de ce bouton”, etc.
Chaque interaction produit un effet sur son usager qui va lui offrir ou non une relation privilégiée à l’objet ou au service. C’est un concept qui se vit, s’expérimente et s’éprouve. Une expérience mémorable passe par son utilité, son “utilisabilité”, le désir qu’elle fait naître, la facilité à naviguer, son accessibilité ou encore sa crédibilité. Vous trouverez une définition plus détaillée sur le site référent français : ux-fr.com .
La conception de l’expérience utilisateur
On entend beaucoup parler d’interface homme-machine, de conception centrée utilisateur, d’analyse de l’activité et des usages, de personas, de tests utilisateurs, de persuasive design, d’architecture de l’information, etc. Tous ces termes se rejoignent sur un domaine commun : le design d’expérience utilisateur. La conception de l’expérience vise à la rendre aussi agréable et intuitive que possible. Elle vise également à la création d’interactions dans le but de répondre aux objectifs et aux besoins des utilisateurs. Pour cela, il faut mobiliser un large éventail de méthodes et d’outils afin de modéliser les attentes et les comportements des utilisateurs. Ainsi des solutions design peuvent en découler. La conception d’une expérience utilisateur comprend différentes étapes.
De l’importance d’une bonne expérience
L’expérience plus importante que le visuel
“C’est l’expérience qui doit être mémorable, non l’interface” précise R.Y. sur son site. En effet, tous les succès planétaires sont majoritairement dûs à une bonne expérience plutôt qu’à un simple “look”. Lorsque l’on observe les produits Apple, on peut imaginer que c’est le “look” qui séduit ses utilisateurs. Mais lorsqu’on les interroge, on s’aperçoit que c’est leur “praticité” et leurs fonctionnalités qui sont prisées, ainsi que le message intrinsèque qu’induit l’utilisation de ces objets : “think different“. Cette phrase a un effet presque religieux sur ses utilisateurs.
On a découvert dans une étude qu’à la simple vision d’un de leur produit, les Apple-addicts ont une réaction cérébrale proche de celle de la foi chez les croyants. Cela va donc au-delà d’une simple appréciation visuelle. Adopter ces produits, c’est adopter une expérience unique. On parle alors de design émotionnel.
Une équipe de neuroscientifiques ont étudié le cerveau d’Alex Brooks (éditeur de World of Apple). Ils lui ont fait passer une IRM, pour visualiser en comparaison (voir ci-dessous) ses réactions face à des images de produits Apple et des images de produits d’autres marques.
L’expérience là où on ne la voit pas
L’expérience d’un usage est par définition “invisible”. En effet, elle est vécue et non subie comme peut l’être une interface visuelle. Il est donc plus difficile de se rendre compte de sa concrétisation et de son impact. Le travail de l’UX designer est donc en partie invisible. Il recoupe des aspects psychologiques, anthropologiques, sociologiques, mais aussi les apports des sciences de l’informatique, de la conception graphique, du design industriel, ou encore ceux des sciences cognitives.
Comme le souligne R.Y. dans sa conférence, il est difficile de montrer visuellement les retombées des résultats de son travail. Mais ces retombées peuvent se quantifier grâce à l’augmentation du trafic sur un site ou l’amélioration de son taux de conversion, le nombre de ventes d’un magasin, de téléchargements d’une application, et de multiples autres façons. L’amélioration de l’expérience utilisateur n’est pas toujours graphique ou visuelle. Elle peut être liée à une refonte en profondeur de l’architecture de l’information. L’utilisateur va trouver plus rapidement ce qu’il cherche, ressentir moins de frustration et prendre plus de plaisir à visiter un site, physique ou virtuel. Il faut bien comprendre que l’expérience utilisateur ne se limite pas au Web, mais est présente partout dans la vie de tous les jours. Tout design est destiné à résoudre un problème visuel ou physique.
L’innovation dans un processus de conception UX
L’émergence du design thinking
Le design d’expérience utilisateur est fondé sur une idéation novatrice. Les fondements de ces principes nous viennent des Etats-Unis, et plus précisément de la marque Apple et son ancien P-DG : Steve Jobs. À ce jour, les produits et les services ne sont plus considérés comme de simples biens de consommation. Avant Apple, les différents corps de métiers travaillaient peu ensemble. Il y avait d’un côté le service produit, de l’autre le service technique, et encore à part le service marketing. En France, ce modèle perdure majoritairement. Une nouvelle approche est en train de prendre la place de l’ancienne, celle du design thinking. Celle-ci consiste à faire collaborer les différents corps de métiers sur les projets, du début jusqu’à la fin. Ce procédé permet un gain de temps et d’argent, et amène de façon plus naturelle l’innovation.
Le processus de design thinking est intimement lié à la prise en considération de l’utilisateur. De par son encouragement à la co-créativité, le design thinking favorise l’innovation. Le regard neuf et parfois novice des différents spécialistes dans d’autres domaines fait émerger des problématiques et des solutions nouvelles.
Les utilisateurs acteurs de l’innovation
Les UX designer se doivent d’être les premiers utilisateurs et testeurs de leurs produits. Nous sommes tous des utilisateurs. C’est en observant les interactions des autres usagers face au produit que le concepteur d’expérience va pouvoir jauger, analyser et améliorer celles-ci. Dans le métier de concepteur d’expérience utilisateur, il est intéressant de souligner la facette de chercheur. De nombreux tests en situation sont effectués. C’est grâce à ces tests grandeur nature que le concepteur va pouvoir adapter le produit en fonction de l’usage que l’utilisateur en fait. Ainsi sans le savoir, l’utilisateur va faire partie du processus d’innovation (de par l’observation de ses habitudes, de ses réflexes et de ses réactions).Depuis toujours de grandes idées, des inventions et des innovations naissent par accidents . Beaucoup d’entre elles découlent d’expériences inattendues, de concours de circonstances, d’erreurs, de maladresses ou de hasards. On peut beaucoup attendre de l’observation des usages et de l’auto-expérimentation des produits.
L’UX, facteur d’évolution de l’entreprise
L’expérience utilisateur est un concept immatériel. C’est toutefois un des paramètres les plus importants dans la conception d’un produit ou d’un service. Son invisibilité ne la rend pas moins indispensable. Selon R.Y. “si l’innovation est si difficile à montrer en ergonomie, c’est que très souvent elle se loge dans les absences. Absence de complexité, absence d’interface, absence de procédures, absence d’apprentissage”. C’est également par le biais de la conception d’expérience utilisateur que l’on trouve aujourd’hui le plus d’opportunités au développement et à l’innovation. C’est une pratique qui n’est pas nouvelle aux Etats-Unis, mais qui est balbutiante en France. Ces nouveaux métiers vont certainement amener des changements importants dans la façon de travailler des entreprises et dans leur développement. Cette conférence a été pour nous une véritable aubaine, nous montrant les méthodes de dialogue avec les différents corps de métiers. R.Y. qui a notamment travaillé chez Orange, nous a montré la différence de perception qu’il existe derrière le terme de « design ». C’est une confusion qui, dit-il, peut engendrer des désaccords au sein des équipes. Nous remercions R.Y. pour avoir partagé avec nous ses conseils et son expérience.
Mathilde Buleté-Herbaut & Lucile Hertzog